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J'avance à mon rythme, ruisselant de sueur. Partout des spectateurs se pressent pour m'applaudir, me taper le dos, m'encourager mais je ne les entends pas. J'ai les yeux rivés sur la route, parfois sur mon SRM. Je n'entends rien qu'un brouhaha incompréhensible rompus parfois par quelques mots sortant de mon oreillette, à mon oreille gauche. La pente continue de s’élever devant moi et je continue de l'écraser de coups de pédales mécaniques. J'aperçois à ma droite le panneau 2 kilomètres... plus que 2 bornes de souffrance pour savourer, pour triompher, pour parader. Un dernier coup d'oeil à mes poursuivants déjà loin et je pourrai me laisser aller. Je tourne doucement ma tête fatiguée et...

Je reprends doucement conscience. D'un coup mes tympans endoloris se remettent à vibrer et j'entends des bruits confus. Puis petit à petit mes yeux s'ouvrent. La lumière artificielle m'aveugle comme une décharge électrique et je dois m'y reprendre à plusieurs fois pour enfin pouvoir les ouvrir en entier. D'un coup une énorme douleur traverse tout mon corps et me provoque un intense mal de tête. Je ferme les yeux et tente de faire stopper cette sensation horrible. Mille questions me traversent l'esprit. Qui suis-je ? Je suis un cycliste... professionnel. Je suis engagé sur le Tour de France. Ou suis-je ? Peut-être que je viens de passer la ligne d'arrivée ? Je viens sûrement de m'effondrer de douleur après avoir passé la ligne... Les souvenirs me reviennent péniblement en tête. L'étape... la course... J'étais en tête à quelques kilomètres du sommet. J'ouvre à nouveau les yeux. Cette fois ils sont habitués à la lumière ambiante. Je suis sur un lit. Blanc. Devant moi un autre mur blanc. Le même à gauche, à droite une fenêtre donne sur un parc. Mon esprit s'embrouille. Je me concentre sur moi. Mon corps est caché sous un drap lui aussi blanc. Mais il se réveille et me transmet ces cris de douleurs. Je tente de bouger ma main, ma jambe. Aucune réaction. Qu'est ce que je fais dans cette pièce ? Je n'en ai aucune idée. Je tente d'analyser la situation, mais ma tête est déjà fatiguée. Je referme les yeux. Je sombre dans un sommeil peuplé de formes qui s'agitent cofusément.

«  Monsieurkoznuts?monsieurkoznutsvousmentendez?  »

Je me réveille à l'évocation de mon nom. Devant moi je distingue une personne. En blouse, sûrement un homme. Peut-être un agent de contrôle pour l'anti dopage, ou un docteur. Un docteur ? Ca pourrait correspondre aux douleurs que je ressens. Je tente de me rafraîchir la mémoire... Je vois le panneau des deux kilomètres à ma gauche. La foule. Là je me retourne. Plus rien. Je me concentre. Si mon cerveau ne s'en rappelle pas, mon corps me rappelle lui ce qui est arrivé en provoquant une décharge de douleur qui me parcours de bas en haut. Je sens à nouveau la collision. Ma jambe qui heurte le guidon, le craquement désagréable de ma colonne vertébrale, ma tête qui heurte le goudron, suivi par les jambes, les bras. Mon corps tout entier qui s'affale misérablement. Mon maillot déchiré et les spectateurs bouches bée. L'agitation tout autour. Les gens qui courent.

« Monsieurkoznutsvousmentendez ? »

Je fixe maintenant l'individu. Je tente de lui répondre mais ma bouche sèche n'émet qu'un râle indescriptible. Je le regarde droit dans les yeux un peu gêné pour lui demander de poursuivre quand même.

« Vous êtes arrivés ici il y a trois jours, dans un piètre état. Peut-être vous en rappelez-vous un peu, vous avez été heurté par un spectateur sur le col. Mon équipe et moi vous.... »

Un spectateur...trois jours... mon Tour est foutu. Je n'ai pas gagné l'étape. Je n'ai pas honoré mon maillot. Je n'ai pas été chercher le maillot de grimpeur. La course est repartie seule, sans moi. A cause d'un inconscient. Toute ma haine, ma colère, se déferle sur lui, bien que je ne connaisse ni son nom ni son visage. J'ai toujours les yeux grands ouverts, qui fixent mon hôte. Il continue de débiter son texte d'un air grave mais je ne l'écoute pas.

« ..je dois vous annoncer une nouvelle grave monsieur Koznuts. »

Il va sûrement me dire que j'ai perdu toutes mes chances sur le Tour. Que j'ai dû abandonner. Mais je le sais, j'ai compris. J'ai vite accepté. Après tout c'est la fatalité, le destin qui le veut. Je laisse mon esprit vagabonder. C'est peut-être une chance de revenir plus fort, avec la rage de la vengeance, la rage de vaincre. On m'avait dit un jour que ce qui ne tuait pas rendait plus fort. C'est vrai. Un message de là-haut. Pour me pousser encore plus fort. Avec un peu de chance je reviendrai peut-être déjà avant la fin de la saison. Je me vois déjà remporter victoires sur victoires, monter en grade, encore et toujours. « Rendez à Koznuts ce qui lui appartient » titrera l'équipe sur le prochain Tour quand je reprendrai mon maillot à pois. Oui, je reviendrai plus fort. J'en étais convaincu.

« Monsieur Koznuts. Votre colonne à été gravement touché. Vous ne pourrez plus jamais remonter sur une bicyclette, et vos chances de rester mobiles sont très faibles. Je suis désolé »

Tout autour de moi les meubles se mettent à tourner...