[****] The Greek Project [FIN]

C'est dans un grand bureau d'un quartier huppé d'Athènes que je rencontrais pour la première fois en chair et en os le fils cadet de Leonidas Marinopoulos, Alesandris Marinopoulos. 57 ans, rolex en or au poignet, beau costume, il me fit entrer avec un grand sourire mais me fit comprendre que son temps était compté. Immédiatement, après de brèves introductions, il attaqua le vif du sujet. C'était un égocentrique, un acteur-né, un vendeur. Il s'était emballé, mais m'avait-il emballé ?

Pour vous présenter un peu l'homme, il m'avait contacté par une relation commune après notre victoire sur le Tour de Malpolska. Très rapidement (quelques mails avaient suffit) il m'avait invité à passer sur Athènes juste avant le championnat national pour parler de sa possibilité de financement. Directeur de Marinopoulos, l'une des principales chaînes de supermarchés de Grèce (qui possède un accord de partage avec Carrefour, d'où le nom composé) et en conséquence un des plus grands patrimoines financiers de famille. Cela sentait plutôt bon pour la survie de l'équipe, même si je craignais de tomber sur un ignorant du cyclisme.

« Mon père, Leonidas, a toujours possédé des chevaux. Pour la course. Un loisir sympathique, où il a remporté quelques sommes. Mais honnêtement, qu'est ce que nous ramènent ses chevaux ? Les gens, le peuple, aiment-ils les courses de chevaux ? Il n'a jamais compris cela : les grecs qui cherchent 200 euros pour payer leur manger du mois n'en ont rien à faire des chevaux qui courent sur les belles aires de gazon bien taillées des champs-elysées de Paris ! Les gens aiment le cyclisme car c'est un sport de prolétaire. Les coureurs gagnent 2'000 euros par mois pour endurer les pires souffrances, ils tirent des visages affreux, ils pleurent, ils saignent, ils tombent. Ils combattent, ils roulent sur des chaussées défoncées à 100km/h ! Panem e circencem, les jeux antiques ressuscités ! Les cyclistes sont des figures auxquelles nos grecs peuvent se rattacher. Ils souffrent comme eux, pour un salaire dérisoire, mais peuvent réaliser des choses incroyables, des victoires qui donnent des frissons. Ils sont les grecs.

Il marqua alors une pause pour me fixer plus intensément encore.

« Et ça leur donne de la confiance, ou de l'espoir, quelque chose. Le football transmet des émotions et une passion. Mais les footballeurs sont des acteurs, comme on va au théâtre, ils sont coupés du monde. Oui c'est beau de voir son équipe s'imposer pour un rien, après un but splendide. Mais les joueurs, sur le terrain, gagnent 40 fois votre salaire alors qu'ils jouent en deuxième division grecque. Ils sont coupés du monde, de la réalité ! Pas le vélo, doux cyclisme. Marinopoulos a tout à gagner à s'associer avec vous, monsieur Nikolau. Cette image, ce combat. Ce sont nos valeurs. Et même si les cyclistes se dopent, enfin pas tous mais beaucoup et vous n'allez pas me dire le contraire – il me tira un petit sourire vicieux que je n'apprécia pas, encore moins après coup -, cela ne les rend que plus humain : qui n'a jamais triché ? Les cyclistes sont la plus pure incarnation de l'homme prolétaire. De nos clients. Des grecs.

Il m'avait vendu son cyclisme avec plus de passion que je n'aurai pu le faire moi-même. C'était un passionné, même s'il me semblait agir comme avec un – son - futur joujou. Maintenant j'attendais ces conditions. Forcément, l'argent n'avait jamais été gratuit.

« Comprenez moi Angelos, j'ai de l'argent. Je pourrai le donner pour racheter une oeuvre que le gouvernement veut vendre aux chinois. Mais aujourd'hui, les grecs ont-ils besoin d'un patrimoine ? Non, ils sont fier de leur pays. De leur passé. Ce qu'ils cherchent, ce qu'ils veulent, c'est un espoir, quelque chose auquel se rattacher pour tenter d'aller de l'avant. Votre projet amène cela. Et en tant que grec j'y trouve une occupation patriotique. Je fais de la charité, en somme.

Voilà qu'il se prenait pour un patriarche, un sauveur.

« Vous en êtes tout honoré, lui répondis-je, joueur, non sans une certaine ironie. Les mots m'avaient un peu échappé, et j'espérais que cela n'allait pas tout gâcher. Même si j'avais encore un peu de mal avec le personnage, je l'appréciais plutôt bien.

« Oh ne vous inquiétez pas, je compte bien récupérer mes billes dans une optique purement marketeuse. Je suis un businessman, ne l'oubliez jamais, pas soeur Thérésa. Mais nos intérêts, et ceux de la Grèce, vont dans le même sens. Profitons-en. Et puis, de toute manière, je ne crois pas que j'ai trop besoin d'argumenter sur pourquoi vous allez recevoir cet argent. Monsieur Nikolau, j'aime en parler avec vous, je doit être un peu mégalomane – il partit dans un grand rire puis but une gorgée de son verre -. Mais vous n'êtes de toute façon pas vraiment en position de négocier, n'est ce pas ?

Il me tira un magnifique sourire de vendeur de voitures américaines puis attaqua le gras, le lourd, l'important de son propos.

« Donc puisque nous sommes d'accord pour travailler ensemble, parlons des conditions, de moi et de vous. J'ai envie de m'investir dans un projet, dans votre projet. Mais soyons sérieux, qui a envie de courir le Grand Prix de Roumanie contre dix-sept équipes sponsorisées par le boucher du coin ? Vous devez être ambitieux, et j'ai l'argent. Je connais un peu le cyclisme, beaucoup mieux que vos amis d'ANEK Lines. Je veux la montée dans deux ans au maximum - Il vit que j'allais protester devant l'énormité de la chose : - Et c'est non négociable, monsieur Nikolau. Allons, vous n'allez pas me faire croire que battre ces coureurs de troisième zone est impossible. Bref, j'amène les fonds et je veux devenir président de l'équipe. Pouvoir venir avec vous en course, m'entretenir avec les coureurs, ce genre de choses. A ce stade pas grand intérêt, mais j'attends avec impatience le moment où je pourrai poser avec notre maillot jaune au sommet du Mont Ventoux... - il se fit rêveur – Belle image n'est ce pas ? Bon, pour cette année je vous allongerai un peu d'argent. J'y mettrai du personnel, niveau fonds, j'imagine que ça ne vous dérangera pas. Vous allez me recruter un bon italien au transfert, pas un vieux comme Urtasun mais plus 27-28 ans, assez complet, et vous brodez autour. Le petit Charalampos m'a l'air de tenir la route en montagne, même chose avec Bouglas et Farantakis en sprint. Pensez aux Balkans, Macédoine - Albanie - Chypre. Nous nous développons dans la région, un peu de pub ne nous ferait pas de mal. J'ai confiance en vous mon ami, ne me décevez pas. Nous boirons sûrement quelques verres lorsque les transferts seront ouverts, nous aurons le temps d'en reparler. Je crois que pour le moment c'est tout, je vous ferai parvenir un accord formel par écrit.

Cette fois j'avais un peu lâché en cours de route. Certes j'étais impatient de trouver un co-sponsor, mais je ne voulais pas une nounou. Il m'avait assailli de son flot de paroles, et maintenant j'étais dans une position d'inferiorité encore plus grande.

« Et bien... votre proposition est intéressante, vraiment. Je... Je dois y réfléchir, en parler avec ANEK aussi... mais je pense... je pense que nous pourrons nous entendre, monsieur Marinopoulos.

« J'espère, j'espère me dit-il avec un grand sourire en me reconduisant à la porte. Ah ! Et nous changerons ce maillot, il n'est vraiment pas si terrible que ça. Très petite équipe, un peu brouillonne. Soyons ambitieux, même dans les détails mon jeune ami !!